Ses mains se tordent autour du fil d’or qu’elle entremêle à la navette de son métier à tisser avant de la glisser entre les rails. Elles sont glissantes à cause de cette chaleur engourdissante qui fait perler la sueur sur tout le corps de Namaria.
Elle aimerait s’étendre sous un amandier, profiter un peu de la fraicheur de son ombre en goutant à la suavité de ses fruits loin de la fournaise de l’atelier et des effluves âcres de teinture. Tant d’effort pour qu’il n’en sorte qu’un amas de fils informes ! « Avec persévérance, tu en tireras toute la magie et elle te guidera » lui avait pourtant dit le vieil homme en lui remettant les pelotes de coton.
Alors, elle pousse un long soupir suivi d’une longue inspiration qui la rappelle à son devoir. Des mois qu’elle s’astreint à s’assoir sur ce petit tabouret de bois pour tisser tout le jour, hors de question de lâcher aujourd’hui. Ragaillardie, elle empoigne le peigne et le rabat jusqu’à ce que la ligne d’or rencontre l’argent. Elle entremêle, glisse et peigne un autre fil d’or puis un autre, un autre et encore un autre malgré la crispation dans ses doigts et la lassitude dans son esprit. Les gestes affutés se répètent machinalement tandis que l’esprit de Namaria vagabonde jusqu’aux sourires de la place du village.
Quand le jour commence à faiblir, elle s’autorise une pause. Ses jambes ankylosées la portent à grande peine face au petit réchaud qui se trouve à l’autre bout de la pièce désormais très sombre. Elle s’empare d’un récipient de cuivre dans lequel elle verse de l’eau et des pétales de violettes. Elle le place sur le réchaud qui au bout de quelques minutes fait frémir l’infusion. La tisserande se délecte du spectacle, des effluves qui emplissent la pièce et trempe ses lèvres dans la boisson.
Puis, son regard se porte vers l’unique source de lumière qui éclaire son métier à tisser et… une magnifique étoffe d’or et d’argent qui s’étend jusqu’au milieu de l’atelier. Jamais elle n’avait vu un tissu si étincelant, si majestueux, si beau. Elle ne peut se retenir de rire, sauter et tournoyer sur elle-même, car la joie qui envahit son être est trop forte pour être contenue. Elle doit s’exprimer et être partagée comme le jour où sa petite sœur était venue au monde en pleine nuit et qu’elle avait réveillé tous les habitants du village pour annoncer la bonne nouvelle. Où étaient-ils aujourd’hui tous ceux qu’elle avait tant aimés ? Disparus depuis 5 ans et 8 mois très exactement. 5 ans et 8 mois d’espoirs brisés et de larmes. Mais désormais, les larmes laissaient la place à la joie, car elle avait en sa possession la cotonnade magique qui la guiderait vers eux.
– FIN –